Une energie citoyenne
A bâtons rompus avec Jean-François Mitsch
la chronique Aout 2009
Et si chaque citoyen de ce pays devenait actionnaire d’une unité de production d’énergie propre? C’est l’idée développée par la coopérative Emissions-Zéro dirigée par Jean-François Mitsch.
Drôle de parcours que celui de Jean-François Mitsch. Passionné de communication, ses premiers pas professionnels le portent vers le marketing. «Gérant d’une agence de pub, j’étais particulièrement bien placé pour comprendre à quel point la publicité façonne notre manière de fonctionner», confesse-t-il. Si le travail est passionnant et convient particulièrement à un homme aussi imaginatif, «au bout d’un moment, je me suis rendu compte de la vacuité de ce métier où on se borne à rendre les choses – quelles qu’elles soient – vendables. J’aspirais à autre chose.» Il décide donc de repartir à zéro pour promotionner chanson et poésie françaises, deux de ses passions. Mais là encore, il lui manque quelque chose. «La manière dont fonctionne notre société ne me plaisait pas, je voulais m’engager de manière concrète pour infléchir le cours des choses.» C’est au cours d’un voyage privé à Seattle (Etats-Unis) que le déclic survient. Etrange coïncidence, c’est à cet endroit, au même moment, que le mouvement altermondialiste prend son envol. Une révélation pour Jean-François Mitsch, désormais convaincu qu’une partie de la solution aux problèmes du monde réside dans la réappropriation de l’économie par les citoyens. Mais par où commencer? «J’en étais là de ma réflexion quand le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange, est sorti en 2006. Il m’a fait l’effet d’une révélation et, en juin 2007, j’ai décidé de me consacrer exclusivement au développement durable».
La force des symboles
Comme le hasard fait souvent bien les choses, une rencontre lui permet de donner corps à son projet. Bernard Delville et son projet d’éolienne des enfants lui fait l’effet d’une bombe. Répondant à un appel à projets lancé au niveau de l'arrondissement d’Houyet par José Daras, alors ministre wallon de l'Energie, Bernard Delville, au sein de son Asbl Vent d’Houyet, développe le projet de l'éolienne des enfants. Concrètement, 860 enfants deviennent coopérateurs propriétaires de l’éolienne n°2 à raison de 2.000 parts de 100 euros. «Pour ce faire, ils ont payé de leur personne, chaque enfant a épargné, travaillé pour obtenir une part de cette éolienne à haute valeur symbolique.» Et Jean-François Mitsch, en bon ancien publicitaire, connaît parfaitement la force des symboles. Et celui-ci en était un fameux. «Mettre directement la production d'énergie en rapport avec l'avenir de nos enfants, les placer directement aux commandes d'une société qui la fabrique pour assurer leur avenir, c'est une chose qui parle fortement aux gens. Ce projet représentait pour moi le modèle parfait, tout s’y trouvait: la réalité économique, la force symbolique, la dimension humaine, l’œuvre collective». L’homme essaye donc de mettre ces nouveaux préceptes en vigueur dans sa commune… où il se heurte à l’inertie des pouvoirs publics locaux. Comprenant que travailler tout seul dans son coin est voué à l’échec, il décide donc de rallier Bernard Delville et son équipe. «Je me suis dit que nous pouvions développer ce concept à plus grande échelle, en créant une coopérative citoyenne.» Les deux hommes sont faits pour s’entendre et le projet ne tarde pas à prendre corps: Vents d'Houyetcrée donc la coopérative Emissions-Zéropour financer des projets d’éoliennes. Elle vient ainsi de lancer une nouvelle souscription publique de 10.000 parts à 260 euros pour la construction de 4 nouvelles éoliennes à Houyet. Et 20 autres devraient suivre dans les prochains mois.
Tout le monde est gagnant
Mais à court terme, l’ambition d’Emissions-Zéro est de devenir fournisseur d’électricité à part entière. La coopérative espère ainsi obtenir une licence dès l’année prochaine. «Nous ne voulons pas faire la guerre aux industriels», explique Jean-François Mitsch, «mais nous pensons que le développement de l’éolien en Belgique doit associer les citoyens dans le cadre de partenariats public-privé.» Et ce, d’autant que, selon l’intéressé, la libéralisation du marché de l’électricité est un leurre. «On nous a laissé entendre qu’en augmentant la concurrence, les prix baisseraient, or c’est exactement l’inverse qui s’est produit. La libéralisation a créé deux types d’acteurs aux intérêts totalement divergents. D’un côté, les producteurs, qui ont intérêt à vendre toujours plus pour toujours plus cher. De l’autre, les consommateurs qui ont intérêt à consommer moins. Si l’on associe l’un et l’autre, on a un équilibre naturel qui s’installe.» D’autant que produire est assez simple: «le vent est gratuit, le coût d'amortissement des installations est connu et la maintenance est contractuelle. Et, une fois la banque remboursée, la coopérative pourra affecter entièrement ses revenus à la production d'électricité; le coopérateur aura donc un contrôle total du prix de son électricité.»
L’investissement s’avère très rentable puisque les éoliennes d’Emissions-Zéro rapportent aujourd’hui chaque année entre 10 et 15% de bénéfices à la coopérative. En Flandre, où la libéralisation du marché de l’énergie a commencé plus tôt qu’en Wallonie, la coopérative Ecopower fournit d’ailleurs déjà le courant à quelque 20.000 coopérateurs. «Un courant 20% moins cher que celui de tous les fournisseurs concurrents», précise Jean-François Mitsch.
La coopérative cornaquée par Jean-François Mitsch réunit aujourd’hui 7 bénévoles qui travaillent en synergie avec les 6 employés de Vents d’Houyet. Et ce ne sont pas les projets qui manquent: fort des expériences antérieures, Emissions-Zéro a comme objectif d’investir dans différentes unités de production d’électricité au départ de sources d’énergies renouvelables: le vent, l’eau, le soleil et la biomasse.
Adie Frydman
2.000 éoliennes équivalent à une centrale nucléaire. A raison de 2 éoliennes par village, on pourrait donc produire toute l’électricité résidentielle wallonne, soit 15% de la consommation globale.